Le Domaine des Muses à Sierre

Robert Taramarcaz a fait du domaine familial une cave incontournable en Valais. Les filles de Zeus et de Mnémosyne inspirent cet esthète qui aime marier le vin et les arts.
Il nous reçoit dans son espace de réception à Granges, à quelques kilomètres de Sierre. Au pied des deux collines de Pintset, l’air est doux en cet après-midi de septembre. La dégustation se fait à ciel ouvert. Les vignes alentour nous rappellent que les vendanges ont déjà commencé. Entre deux arrivées de raisins, Robert Taramarcaz prend le temps de partager sa passion et sa vision de la viticulture.
Au cœur du Valais, les vignes sont pentues et le soleil ardent.
LE VINGTIÈME MILLÉSIME EN 2021
Cette année, Robert Taramarcaz vinifiera son 20e millésime. « J’ai prévu de fêter ça à travers plusieurs événements, dont des verticales de différents cépages », explique celui qui aime élaborer des vins de garde. « Le Covid-19 bouleverse mes plans. Mais, je ne désespère pas d’organiser des soirées liant la présentation de mes vins à des prestations artistiques. »
Les rencontres avec les clients manquent au vigneron de Sierre. « J’aime présenter mes crus, partager avec les gens l’émotion d’une gorgée de vin, leur parler de mon métier, de nos terroirs. » Lui qui a hésité entre le barreau et le théâtre avant d’opter pour l’œnologie sait évoquer le divin breuvage. Son verbe tient de Cyrano qu’il a incarné sur les planches et auquel il dédie d’ailleurs un magnifique Merlot. « Il y a quelques années, j’avais mis sur pied des dégustations ponctuées par des saynètes sur le thème des muses dont on me parle encore… » Écrire une pièce avec le vin en personnage principal trotte depuis quelques temps au coin de sa tête. Mais trêve de discours, place à la dégustation.
CÉPAGES ENDÉMIQUES ET INTERNATIONAUX
Robert Taramarcaz aime dire du Valais que c’est un véritable « jardin des vins », un sacré « terrain de jeux » pour un vigneron. « Cette multitude de terroirs, ce climat contrasté, avec la rive gauche, plus fraîche, qui rappelle la Bourgogne, la rive droite, plus ensoleillée, qui se rapproche des Côtes-du-Rhône, et la plaine au milieu… Il y a de quoi faire. »
Début des années 2000, l’Etat du Valais préconisait l’arrachage des plants de Chasselas pour mettre en lumière les spécialités valaisannes. Quand il reprend la cave en 2002, le jeune vigneron-encaveur refuse d’abandonner ce cépage, révélateur de terroirs et de savoir-faire. « J’ai toujours cru au potentiel du Chasselas. On l’apprécie pour son côté joyeux et sa buvabilité dans sa jeunesse et sur les vieux millésimes, il nous fait découvrir un monde d’arômes incroyables ! »
Le Chardonnay fait également partie des cépages fétiches du Domaine des Muses. « Je suis tombé amoureux du Chardonnay en Bourgogne. C’est un grand vin du monde, parfois décrié chez nous car il ne fait pas partie des cépages autochtones. » Robert Taramarcaz le compare volontiers à l’Humagne Blanche qu’il vinifie aussi à la bourguignonne.
Du Cornalin au Merlot en passant par l’humagne rouge, il vinifie une quinzaine de cépages, autochtones et internationaux, répartis en 4 gammes : Classique, Tradition, Réserve pour les vins en barrique et Séduction pour les assemblages.
Les vignes sont travaillées en culture raisonnée. « Depuis 2012, la moitié du domaine est travaillé sans herbicides ni pesticides. Je n’ai pas encore totalement franchi le pas du Bio, mais je suis conscient que c’est la direction à prendre. »
La moitié du Domaine des Muses est cultivé sans pesticides, ni herbicides, depuis 2012
DE PARKER À AUJOURD’HUI, LA QUÊTE DE L’EXCELLENCE
Dès son arrivée au domaine, Robert Taramarcaz s’est appliqué à produire des vins purs, ciselés et droits. La visite inattendue de David Schilknecht, critique auprès du célèbre Guide Parker en 2012, va accélérer sa carrière. « Faire partie des premiers vignerons suisses parkerisés et figurer dans le Best of 2012 de Parker fut une sacrée chance », reconnaît-il. En attribuant des notes élogieuses à onze de ses vins, David Schilknecht a propulsé le Domaine des Muses sur la scène internationale. D’autres prescripteurs internationaux ont suivi, dont la Master of Wine Julia Harding et la critique anglaise Jancis Robinson.
Depuis, Robert Taramarcaz a placé le Domaine des Muses parmi les grands classiques suisses et valaisans, il n’a de cesse de rechercher l’excellence en conjuguant typicité et élégance.
« Après un diplôme en viticulture à l’École d’Agriculture du Valais, j’ai fait un stage en Nouvelle-Zélande, à la Cave Sacred-Hill. Ce fut une expérience inoubliable. Les œnologues néo-zélandais ont une audace incroyable. Comme ils n’ont pas de tradition viti-vinicole, ils font beaucoup de recherches, ils sont curieux, ils osent tout, ils n’ont aucune limite. » Une liberté qui a marqué le Sierrois sans pour autant lui faire nier l’importance de l’empirisme. « Ensuite, j’ai décroché le diplôme national d’œnologie de France à l’Institut Universitaire de la Vigne et du Vin Jules Guyot, à Dijon. Là, je me suis retrouvé face à un savoir-faire ancestral. C’était très formateur. »
De la Bourgogne, Robert Taramarcaz gardera l’amour du Chardonnay et du Pinot noir, la passion de l’élevage en barrique. « Un élevage en douceur, où la barrique est là pour apporter de la complexité au vin, tout en laissant le cru s’exprimer pleinement. » De la Nouvelle-Zélande, l’envie de créer de nouvelles cuvées, d’oser des assemblages inédits, telle sa gamme dédiée aux Muses.
Robert Taramarcaz avoue aussi un petit faible pour les vins doux. Lors de son diplôme à l’Université de Bourgogne, il avait consacré son mémoire aux vins liquoreux. En 2001, le Domaine des Muses intègre la Charte Grain Noble ConfidenCiel – une association qui regroupe une trentaine de producteurs désireux de perpétuer la tradition des grands surmaturés sur souche – avec le Polymnie, Séduction Or. Jusqu’en 2016, cet assemblage fut composé de Marsanne et de Pinot gris, dès 2017, la Petite Arvine remplace le Pinot gris. Le nez du Polymnie 2017 évoque les fleurs de jasmin, les figues confites. La première gorgée balade nos papilles entre le tonus de la Petite Arvine et le gras de la Marsanne. Abricot, pêche des vignes, fruits secs précèdent une finale pâtissière et veloutée. « C’est un vin liquoreux qui défie le temps et que le botrytis rend éternel », assure son créateur. Devenu en 2019 le président de cette association, Robert Taramarcaz confie avoir à cœur la mise en lumière du savoir-faire de l’ensemble des membres. « Nous voulons créer une cuvée commune pour les 25 ans de la Charte. Le Covid-19 a peu freiné le projet, mais il devrait aboutir l’an prochain. »
Photos : Jean-Blaise Pont