Le génépi, un alcool mythique, rare et précieux
À l’instar de la gentiane et de l’edelweiss, le génépi fleure bon les montages, mais avec un petit plus. Une saveur particulière qui parfume eau-de-vie et liqueur.
Cousin de la sulfureuse absinthe, le génépi désigne plusieurs espèces d’armoises du genre Artemisia (famille des Astéracées) ainsi que l’alcool et la liqueur qui en sont tirés. Connu essentiellement dans l’arc alpin, en Savoie, dans le Val d’Aoste et en Valais, cette eau-de-vie des montagnards serait un remède idéal contre les coups de froid et les états grippaux. À ses nombreuses vertus médicinales, (apéritives, digestives, toniques et cicatrisantes notamment), il faut ajouter le plaisir gustatif que procure la dégustation d’un verre de génépi.
DIX ANS DE RECHERCHES POUR DOMESTIQUER LE GÉNÉPI
Interdit de cueillette, le génépi est cultivé en Valais depuis 1995 grâce aux recherches d’Agroscope à Conthey. Cette plante aromatique des montagnes pousse à l’état sauvage entre 2000 et 3400 m d’altitude, sur les moraines de glaciers essentiellement. En Valais, canton où on fabrique l’essentiel de la production suisse, on trouve quatre espèces de génépi : le génépi blanc ou génépi jaune (Artemisia umbelliformis), le génépi noir (Artemisia spicata), le génépi des glaciers (Artemisia glacialis) et le très rare génépi des neiges (Artemisia nivalis).
Plante protégée en Suisse, sa cueillette à l’état sauvage est interdite, ce qui explique sans doute le peu de documentation trouvée sur la fabrication de l’eau-de-vie ou de la liqueur. Cette interdiction n’a jamais empêché certains amateurs d’en ramasser, juste de quoi distiller quelques litres pour passer l’hiver, invoquant le besoin vital d’un remède pour dérober quelques poignées à Dame Nature. Cr, à ses vertus apéritives, digestives, toniques et cicatrisantes, il faut ajouter des propriétés expectorantes, fébrifuges et tonifiantes.
En Valais, on prétend distiller du génépi depuis la nuit des temps, mais le Patrimoine Culinaire suisse nous rappelle que la distillation n’a cours que depuis deux cents ans dans cette région. N’empêche qu’en deux siècles, cet élixir s’est imposé comme un produit incontournable du terroir valaisan.
CULTIVÉ DEPUIS PLUS DE 20 ANS
C’est sous l’impulsion de la firme Ricola soucieuse d’étoffer sa gamme de bonbons, qu’Agroscope Conthey lance, en 1989C, les premières recherches en vue de domestiquer le génépi. Charly Rey, horticulteur et botaniste, mena le projet, dont la première étape consista à sélectionner l’espèce qui se prêterait le mieux à une culture biologique en moyenne altitude. Une variété de génépi blanc fut préférée aux autres pour ses qualités organoleptiques, une résistance à certaines maladies, dont la « rouille de la grande absinthe » et surtout le fait que son huile essentielle ne contient pas ou très peu de thuyone (une molécule neurotoxique également présente dans l’absinthe qui peut être dangereuse en cas de surdosage).
Il a fallu 10 ans d’essais pour aboutir à un résultat. Cependant, la culture du génépi demeure délicate. Les paysans de montagne et les membres de la coopérative Valplantes qui furent parmi les premiers à en planter, se découragèrent rapidement en raison du dépérissement des cultures. « Le génépi ne devrait être planté qu’en altitude (1500-2200 m) », explique Claude-Alain Carron, collaborateur d’Agroscope
Conthey. « Le rendement est généralement limité à 3 ans, on le plante au printemps, mais la première récole n’aura lieu qu’en juin de l’année suivante. La troisième année, celle de la dernière récolte, les plants sont déjà moins productifs, et ensuite, la plante s’épise. »
DE ROSTAL À MORAND, L’HISTOIRE D’UNE PASSION
La mise en lumière d’un alcool traditionnel comme un produit de niche, rare et précieux. En 2003, Gaston Haenni, alors patron de Rostal, Les Herbes du Grand Saint-Bernard, décroche le Prix de l’Innovation agricole suisse pour son eau-de-vie de génépi 100 % valaisanne. Depuis 1995, date de la création de son entreprise, l’homme avait misé sur la vente de mélanges d’herbes aromatiques et d’épices, principalement bio. Lorsqu’il apprend que le centre Agroscope de Conthey a développé un génépi « RAC 12 », pauvre en thuyone, il saisit l’opportunité d’élaborer un alcool typique de la montagne. Un produit qui colle à l’identité des produits du Grand Saint-Bernard. « J’ai été boosté par le chercheur Charly Rey. C’est un passionné. Il a suivi nos cultures, partageant ses connaissances, prodiguant conseils.
Quand on parle de génépi, Charly Rey est incontournable », dit Gaston Haenni de celui qui, au fil des ans, est devenu un ami. En 2015, Rostal passe aux mains de la distillerie Morand gérée par Fabrice, le fils de Gaston.
Gaston Haenni et Charly Rey, aujourd’hui à la retraite, n’ont pas délaissé le génépi.
« Nous avons planté 8000 plantons fournis par Agroscope au printemps 2021 sur les hauts de La Sage, à Evolène, et près de 4000 à Arbaz. La récolte fut très bonne. Mais rien n’est acquis. Aux récoltes variables, il faut ajouter les prédateurs, le cerf par exemple, qui piétine les champs. »
La maison Morand a repris deux recettes des Herbes du Grand Saint-Bernard, un sec à 42° et un doux à 25°. La distillerie de Martigny élabore deux autres produits, une liqueur à 41°, une autre à 32° et une mousse de génépi à 20°. Directeur de production chez Morand, Bruno Vocat reste plutôt discret sur les « recettes » de ces 4 produits. « On obtient du génépi par macération dans de l’alcool de bouche ou de l’alcool de vin ou par distillation. Chaque maison a sa propre technique et garde son secret de fabrication. » Cette diversité de recettes et de saveurs, signature de la patte des bouilleurs de cru, offre une palette gustative intéressante, elle reste un frein à l’obtention d’une AOP liée à un cahier des charges stricte.