ALAIN GRABER, UN HÉRITIER AU SERVICE DU TERROIR

Aux portes de la bouillonnante cité de Calvin, les vignobles genevois annihilent l’effervescence urbaine et offrent une quiétude aussi étonnante que bienvenue. C’est ici qu’Alain Graber, 56 ans, vit depuis sa plus tendre enfance. Il y cultive son amour pour la vigne sur le domaine Les Gondettes, à Satigny. Un domaine dont il a hérité, il y a cinq ans, des mains de sa patronne, une pionnière dans le monde de l’œnologie helvétique. Françoise Berguer est reconnue pour être la première femme à avoir intégré l’école de viticulture de Lausanne en 1954. Celle qu’Alain Graber a appelée sobrement et respectueusement Madame durant leurs 25 ans de collaboration lui a transmis son domaine de 12 hectares, un vignoble chargé d’histoire et gorgé d’authenticité.
Les pneus de nos deux voitures crissent à l’unisson sur la petite cour caillouteuse de la cave Les Gondettes. Sans le vouloir, notre arrivée au vignoble est synchronisée à la seconde près. La matinée a été plutôt chargée pour Alain Graber : « Une séance un peu houleuse entre les vignerons genevois », glisse-t-il dans un sourire en me tendant une main franche et chaleureuse. Même en évoquant une réunion un brin stressante, le propriétaire des lieux affiche un calme olympien et dégage une aura apaisante. La quiétude des environs semble l’avoir envoûté de la meilleure des manières. Le coteau de Choully, c’est sa terre depuis toujours. Son père avait un domaine agricole et viticole à quelques encablures d’ici.
25 ans de service
Son aventure aux Gondettes a démarré en 1994 dans la cuisine de Françoise Berguer. Nous entamons les quelques mètres qui nous séparent de la vieille bâtisse, construite par la famille Necker, premiers exploitants du domaine dès 1932. La maison n’a pas changé depuis le décès de sa dernière propriétaire, en août 2019. « Elle est restée dans son jus », reconnaît Alain Graber qui depuis la reprise du domaine s’est donné corps et âme pour surmonter les défis administratifs tout en maintenant la barque à flot. « C’est ici que tout a commencé », explique-t-il en déployant un album de souvenirs sur la table vieillotte de la cuisine. Alain Graber a passé son entretien d’embauche sur cette même chaise face à celle pour qui il travaillera fidèlement durant un quart de siècle, sans jamais passer le cap trop intimiste du tutoiement. « C’était un petit bout de femme de 1m52, mais un sacré caractère », ajoute-t-il dans un sourire en s’attardant sur les photos de l’album réalisé à l’occasion du 150e anniversaire du domaine. Même cinq ans après son décès, la complicité et le lien unique qui liaient Alain Graber à sa patronne sont plus que perceptibles. C’est d’ailleurs ce lien de confiance et de respect mutuel tissé entre les vignes du coteau par ces deux passionnés qui a permis aux Gondettes de perdurer sans perdre son âme, au-delà de la disparition de son emblématique propriétaire.

Une pionnière au caractère bien trempé

Françoise Berguer, c’était « un sacré monument, un véritable puits de sciences », dépeint son plus fidèle collaborateur dans un mélange de respect et d’admiration. Elle est née sur le domaine en 1933, l’année même où son père reprend l’exploitation des mains de la famille Necker. Grande passionnée d’équitation, l’adolescente rêve secrètement d’arracher les vignes pour y mettre des chevaux, mais elle assumera finalement pleinement son devoir de succession. Fille unique, elle reprend les rênes du domaine familial en 1973. Son tempérament explosif et bien trempé lui permet de bousculer les codes et de se faire une place dans un monde viticole presque exclusivement masculin. « Elle a dû jouer des coudes », raconte Alain Graber. Françoise Berguer a lutté toute sa vie pour la cause des femmes et savait pertinemment que le chemin était encore long. Véritable pionnière dans son milieu et figure féministe par la force des choses, son parcours inspirant ne lui a jamais fait perdre sa lucidité. « Ne baissez pas les bras, mes chéries, la cause n’est pas encore gagnée », répétait à bon vouloir celle qui n’a jamais eu d’enfants « à sa connaissance », comme elle aimait le souligner avec malice.
Un héritage aux multiples défis
Même sans héritier direct, Les Gondettes ont pu survivre au décès de La Patronne grâce au lien puissant et unique qui unissait Françoise Berguer et Alain Graber. Une relation solide basée sur la passion, le respect et l’amour des terres viticoles. C’est ainsi qu’à l’aube des vendanges 2019, celui qui pilotait déjà le domaine depuis quelques années, se voit propulser au rang de propriétaire. Les défis s’amoncellent rapidement sur le seuil de la cave. Cette transmission sans lien de sang se présente comme un cas atypique et complexe.
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