POMMES À SAUTE FRONTIÈRE

La pomme cache bien son jeu. Ses variétés sont pléthoriques et parfois pittoresques: la belle-fille, la cul-noué, la quenouillette, la calville, la reinette, la gala, la gaillarde, la longue queue, et aussi la pomme Curé, la pomme d’Enfer et même la pomme Dieu!
Ce qui fait dire à Diderot: «Le Dieu des chrétiens est un père qui fait grand cas de ses pommes, et fort peu de ses enfants.» En effet, la Bible ne dit jamais explicitement si le fruit défendu, pour lequel Adam et Ève furent chassés du Paradis–était une pomme, une figue ou un abricot! Saint Paul avait prévenu: «Les voies du Seigneur sont impénétrables.» En Suisse, la pomme a acquis un statut particulier après l’exploit de Guillaume Tell, l’arbalétrier condamné par l’Occupant autrichien qui réussit à percer d’une flèche la pomme placée sur la tête de son fils, épisode glorieux du roman national. À la même époque, dans les cantons d’Argovie et de Thurgovie, on plantait un pommier si le nouveau-né était un garçon, et un poirier si c’était une fille!

En Grèce déjà, récupérer les pommes d’or du Jardin des Hespérides, fruits d’immortalité, était le onzième des Travaux d’Hercule. Quant à la Pomme de la discorde dédiée par le jugement du berger Paris à «la plus belle des déesses de l’Olympe», provoquant ainsi la guerre de Troie, elle eut au moins une conséquence heureuse: sans elle, Homère n’aurait jamais écrit L’Illiade! Les pythagoriciens, eux, découvriront que chaque moitié d’une pomme, tranchée par le milieu en largeur, représente une étoile à cinq branches, symbole du pouvoir sexué. Alors que fendue verticalement depuis le pédoncule, Rabelais, qui était médecin, y voyait un sexe féminin.
Enfin, selon la légende, c’est assis sous un pommier qu’Isaac Newton conçut la loi de la gravitation universelle, en 1687, après avoir reçu une pomme sur la tête. Les visiteurs du manoir de Woolsthorpe, sa maison natale, se font encore photographier devant un pommier qui serait issu, en 1820, d’une repousse de l’arbre d’origine. Dans la tradition populaire des contes de Grimm, la princesse Blanche-Neige croque naïvement une pomme empoisonnée par la méchante reine. Sa mort n’est que temporaire, jusqu’à l’arrivée du Prince charmant.
Si beaucoup de légendes gravitent autour de la pomme, son histoire est désormais mieux connue. Nos pommes sont très certainement issues des pommiers sauvages du Caucase ou du Kazakhstan et acclimatées, notamment, dans la cité lacustre préhistorique du Lac Chalain (Jura). Mais alors que, au second siècle avant notre ère, Caton l’Ancien dénombre une demi-douzaine de variétés de pommes, on en connaît près de 6000 aujourd’hui. L’Agence d’information agricole romande (AGIR) constate que la pomme est le fruit le plus cultivé en Suisse, et disponible tout au long de l’année. 138 000 tonnes sont produites annuellement, pas plus de 5% sont importées; la consommation est de 14,9 kg par personne/an. Soit la moitié de la consommation française et seulement le tiers de celle des Américains (51,9 kg/an).

CIDRE HAUT DE GAMME, DE LA ROMANDIE À LA NORMANDIE
Dans les trois régions où se trouvent concentrés environ les trois quarts de la production de pommes en Suisse, dans les cantons de Thurgovie, de Vaud et du Valais, les vergers constituent un marqueur du paysage. Ils sont un point fort de la biodiversité pour de nombreuses espèces d’oiseaux et d’insectes. Les pommiers, y compris les arbres de haute tige dont les fruits sont destinés aux cidreries, occupent environ les deux tiers (environ 4200 ha) de la surface totale des cultures fruitières (6600 ha), suivis par les poiriers (13%), les abricotiers et les cerisiers. Près de la moitié des poires cultivées en Suisse est transformée en jus, en eau-de-vie ou en fruits séchés…