GRAND ENTRETIEN AVEC FABIO PENTA, L’OENOLOGIE HEUREUSE

Les chefs ont les toques et les étoiles pour accéder à la célébrité, les sommeliers, les concours pour être sacrés le meilleur dans leur pays ou dans le monde. Les vignerons ont les prix gagnés par leurs vins pour faire connaître leur domaine. À l’étranger, certains d’entre eux n’hésitent pas à mettre en avant l’œnologue qui les conseille pour en faire un argument de qualité. Ce n’est pas le cas en Suisse, du moins pas encore. Fabio Penta, peu connu du grand public, n’en est pas moins l’un des œnologues les plus cotés en Suisse romande. Nous sommes allés à sa rencontre sur le site de l’entreprise qu’il dirige avec deux associés, Œnologie à Façon, à Perroy.
Fabio Penta est un homme qui se lève tôt. Déterminé, rigoureux, il vit plutôt sa profession à 100 à l’heure. Mais il est détendu, chaleureux dans sa relation à l’autre, avec cette assurance tranquille que lui donnent les compétences et l’expérience acquises.
Né le 28 décembre 1969 à Interlaken, sa famille a déménagé à Bursinel quand il avait trois ans. Son père était chauffeur dans une entreprise de négoce en vins en Suisse alémanique quand le patron de Hammel-Terre de vins, à Rolle, lui a proposé de l’engager. Depuis, Fabio n’a plus quitté la région. À 16 ans, il est même entré en apprentissage chez Hammel. Il y est resté vingt-cinq ans, en franchissant tous les échelons de l’entreprise et toutes les étapes de sa formation de vinificateur.
Vous êtes entré chez Hammel en tant qu’apprenti en 1985, pour en devenir le directeur technique vingt ans plus tard. Qu’est-ce que vous avez appris dans cette grande maison, qui encave la récolte de près de 150 ha de vignobles, dans les cantons de Vaud, de Genève et du Valais ?
On peut dire que je suis tombé dedans quand j’étais petit. Car j’ai travaillé chez Hammel avant mon apprentissage pour gagner des sous pendant les vacances d’été. J’ai beaucoup appris dans cette maison au fil du temps, en particulier toutes les étapes de la vinification, des plus basiques aux plus pointues. À partir de 1995, le nouveau directeur Charles Rolaz, membre fondateur de la Mémoire des vins suisses, a développé des vins haut de gamme. Au départ, il n’y avait rien. Une nouvelle structure a été mise en place avec une cave de recherche où nous avons fait beaucoup d’essais. Cette orientation a été très positive pour eux comme pour moi.
J’ai appris pas à pas toute la pratique de mon métier, caviste, œnologue, laborantin. Avec le directeur, on allait à la vigne. Je me souviens que lors des attentats du 11 septembre 2001, nous étions en train de couper les raisins. Tous les boulots, je les ai faits, je sais ce que cela représente, le temps que ça prend. J’ai travaillé sur beaucoup de cépages. Si vous suivez la voie du bachelor-master d’aujourd’hui, à la sortie vous possédez la théorie, mais avec au mieux six mois de stage, vous avez peu de pratique. Voilà la chance que j’ai eue.
Parallèlement à cette pratique, vous avez poursuivi votre formation d’œnologue pendant 12 ans, en passant à l’École supérieure d’œnologie dès 1988 jusqu’à la maîtrise fédérale en 2000. C’est le temps qu’il faut pour devenir un bon œnologue ?
C’est compliqué d’aller plus vite. Le métier fonctionne à l’expérience. Il faut avoir le souvenir des millésimes, chaque année est différente. Nous avons une palette de jeu très large dans un pays qui présente une grande diversité de cépages (plus de 70 en Suisse), alors que dans la région de Bourgogne, ils en ont quatre ou cinq. Œnologie à Façon travaille avec des clients dont la philosophie, le terroir, les cépages, les gammes de vins sont différents. Tenir compte de tous ces éléments ne s’apprend pas en un jour.

En 2013 justement, vous avez quitté Hammel pour entrer dans l’entreprise Œnologie à Façon, à Perroy, avant de la racheter en 2021, avec vos deux associés. Qu’est-ce qui a motivé ces décisions ?

J’avais passé la quarantaine. Il me semblait que j’avais fait un peu le tour, j’avais envie d’un nouveau challenge. Un jour, lors d’une dégustation à Mont-sur-Rolle, avec le patron d’Œnologie à Façon, Claude Jaccard, que je connaissais et dont je savais qu’il allait partir à la retraite, j’ai fait acte de candidature. Il m’a demandé de bien réfléchir. J’ai renouvelé mon intérêt et après cela tout est allé très vite. J’ai travaillé 5-6 ans comme employé avec la perspective de reprendre la société. Avec deux associés, qui sont d’ailleurs des neveux de Claude Jaccard, nous avons racheté l’entreprise en 2021, en restant locataires des bâtiments. Nous constituons une super-équipe, que nous avons renforcée avec des œnologues plus jeunes que nous, dans la trentaine.
Quelle entreprise, non pas se cache, mais vit derrière ce nom peu commun : Œnologie à Façon ? Qu’est-ce qu’on y fait ?
Tout (rire). Nous connaissons un développement assez incroyable alors que Claude Jaccard avait déjà beaucoup fait progresser l’entreprise. En fait, nous n’avons pas de produits propres, mais nous assurons toute la gamme des prestations de service. Cela va du simple consulting au viticulteur jusqu’au vigneron qui nous confie les clés de sa cave, en passant par la vinification et la mise en bouteille.
Nous travaillons avec des vignerons qui n’ont pas de cave (à partir de 350kg de matière) pour faire du vin en vrac ou mis en bouteille comme avec de grandes sociétés, à l’instar d‘un gros faiseur suisse allemand.
Pour l’embouteillage, nous aurons sept groupes de mise en bouteilles en 2025, avec une capacité de 6 millions de cols par année. Un volume qui nous situe derrière Schenk et au niveau des Caves de La Côte. Nous avons aussi beaucoup développé la gazéification ces dernières années. Nous sommes passés de 60’000 bouteilles en 2018 dans ce secteur à 600’000 aujourd’hui. Alors que nous ne voulions pas en faire, nous nous sommes même lancés dans la méthode traditionnelle de fabrication des vins effervescents, tellement la demande était forte. Nous nous sommes équipés (frigo géant, ligne de dégorgeage, stockage de bouteilles sur lattes) et les premières bouteilles sont sorties l’année dernière.

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