GRAND ENTRETIEN AVEC MARTIN SPAHR

« Les fromagers suisses sont parmi les meilleurs du monde en ce qui concerne la durabilité »
Après avoir frôlé le pire entre 2022 et 2023, avec des niveaux d’importation qui surpassaient ceux des exportations, la branche fromagère suisse semble s’être ressaisie et stabilisée. Le tout, maintenant, c’est de le faire savoir. Comme nous l’explique le responsable du marketing et de la communication de Switzerland Cheese Marketing, à Berne.
À en croire la presse, la Suisse a bien failli assister à l’effondrement d’un de ses fleurons. En relisant les grands titres d’il y a tout juste une année, on en aurait presque des frissons : « La grande crise du fromage suisse », « Les fromagers contraints de se réinventer », « La Suisse a mal à ses fromages »… Production locale en baisse, exportations en berne, produits importés conquérants grâce à des prix très bas : la mozzarella et le cheddar allaient-ils supplanter le Gruyère et le Raclette ?
CMO de Switzerland Cheese Marketing depuis 2012, Martin Spahr connaît le marché comme personne. Et il se veut rassurant. Selon lui, en restant fidèle aux valeurs qui l’ont fait roi telles que la qualité, la proximité et le savoir-faire local, le fromage suisse a de belles années devant lui.
Martin Spahr, peut-on dire que le fromage suisse est sorti de la crise ?
Oui, aujourd’hui, on peut le dire. En Suisse, nos fromages se portent très bien. Parce qu’ils sont indissociables de notre table. Chez nous, on peut même dire que le fromage fait vraiment partie intégrante de notre alimentation quotidienne.
Même chez les jeunes ?
La seule chose que l’on remarque, c’est que pour les jeunes le fromage a parfois une image de produit de masse, de produit industriel aussi, parce qu’on peut les acheter partout. C’est du moins ce qu’on remarque avec les variétés les plus connues. Et c’est pour cela que ce sont elles qui pâtissent le plus de ce problème d’image. Comme vous pouvez l’acheter en morceaux déjà emballés, chez Migros ou chez Coop, les jeunes ont tendance à penser que ce sont ces grands magasins qui produisent le gruyère alors que la production du gruyère n’a rien d’industriel, justement.

Et ce problème d’importations qui dépassent les exportations ?
C’est vrai qu’il y a une année, les choses étaient plus compliquées. Nous avons souffert beaucoup entre 2022 et 2023, avec les tensions économiques, la guerre en Ukraine, etc. En ce qui concerne ses exportations, la Suisse est très dépendante de l’Union européenne. En fait, 80% de nos exportations sont destinées aux marchés de l’UE, spécialement l’Allemagne, la France et l’Italie. Donc quand l’économie allemande souffre, nous souffrons aussi. Mais en 2024 on a constaté une nette amélioration et, depuis, ça va mieux.
Quelle est la consommation de fromage en Suisse ?
Les statistiques montrent qu’il se mange environ 23 kg de fromage par personne et par an dans notre pays. La quantité a un peu augmenté pendant la période du Covid, avant on était plutôt aux alentours de 21,5 kg. Actuellement, les Suisses sont classés parmi les dix plus grands consommateurs de fromage en Europe.
Les premiers ce sont ?
Étonnamment, les Islandais.


Sur le plan international, certains concurrents jouent à fond la carte de la durabilité, du respect des animaux… Et vous ?
Nous avons également différents programmes dont nous pouvons être fiers. Peut-être avez-vous entendu parler du lait KlimaStaR, ou du label Swissmilk green qui sont des initiatives allant dans le sens de la durabilité, en réduisant les émissions de gaz à effet de serre pour la première et en imposant dix critères de bien-être animal. Les vaches doivent entre autres avoir accès à l’extérieur, elles doivent porter un nom, les veaux doivent rester avec la mère pendant au moins trois semaines, les vaches gestantes saines ne peuvent pas être abattues, la surmédication est interdite, le fourrage doit être d’origine durable et ne pas contenir d’huile de palme, etc.) et deux exigences à choix (dans un catalogue de huit) aux éleveurs, pour obtenir le second label.
Mais vous en parlez très peu…
C’est vrai que c’est un peu notre problème à nous, les Suisses : nous faisons beaucoup… mais on n’en parle pas. Les Irlandais ou les Hollandais communiquent sur des programmes qui, pour nous, ne sont pas très innovants. Parce qu’en Suisse, on fait ça depuis toujours. C’est notre principal défi : nous devons commencer à en parler, à montrer ce que nous faisons. Nous n’avons rien à cacher et on est parmi les meilleurs en ce qui concerne la durabilité.
Combien y a-t-il de producteurs de fromage en Suisse ?
On dénombre entre 500 et 600 fromageries dans notre pays. Et plus de 1350 alpages sur lesquels on produit du fromage.


Fromager, c’est un métier qui attire ?
Oui, il y a beaucoup de jeunes qui sont intéressés. Et beaucoup de jeunes femmes, aussi, qui font un apprentissage et qui deviennent fromagères, et ça, c’est vraiment positif.

Quels sont les défis qui vous attendent pour ces prochaines années ?
Si on considère l’exportation, c’est avant tout le prix. Il va falloir bien expliquer aux consommateurs que si, dans les marchés d’exportation, les fromages suisses ont un prix plutôt élevé, c’est qu’il y a de nombreux paramètres, de qualité et d’exigence entre autres.
Dernière question, un peu plus personnelle : quel est votre fromage favori ?
Officiellement, je devrais dire que je les aime tous. Mais en réalité, j’avoue une préférence pour le Raclette du Valais AOP, le Vacherin Mont-d’Or AOP et le Gruyère d’Alpage AOP.
Seulement trois ? Il vous reste une marge confortable…
Avec plus de 700 variétés de fromages produites en Suisse, c’est sûr ! Et ces variétés parfois surprenantes. Prenez la mozzarella suisse, par exemple. Tout le monde croit que la mozzarella vent d’Italie, mais en Suisse, on produit plus de mozzarella que de raclette ou d’Emmental. Comme je vous l’ai dit, on a encore une marge de progression en matière de communication et on y travaille…
SWITZERLAND CHEESE MARKETING, C’EST QUOI ?
Basée à Berne, Switzerland Cheese Marketing est une organisation à but non lucratif dont la mission est d’œuvrer, en tant qu’organe faîtier neutre, en faveur du fromage suisse. Pour ce faire, SCM fédère tous les acteurs de la branche (producteurs de lait, association des artisans du fromage, interprofessions fromagères et maisons de commerce) et soutient la vente des fromages suisses à l’étranger. Elle dispose pour cela de filiales sur tous les principaux marchés d’exportation des fromages suisses, de l’Allemagne aux États-Unis en passant par la France, le Benelux, l’Espagne et la Scandinavie. Pour atteindre ses objectifs, elle joue évidemment sur les valeurs de base que sont le goût unique et l’origine des fromages suisses. Et elle les affine avec un savant mélange d’atouts maison : la diversité, la fabrication artisanale, l’authenticité, la tradition et, à l’image de l’emblématique fondue, la convivialité.
