LA SAISON DU BOLET

Il n’est pas de plaisir plus intense au détour du chemin sablonneux que de ramasser parmi les graminées folles et barbues, la lépiote pudique des lisières, appelée aussi coulemelle rougissante. Elle est parfois élevée au rang de bécasse des paysans. Le goût du champignon est le souvenir de la magie d’enfance. D’où son succès ! Qui n’a jamais soulevé la boule-de-neige aux élégants dessous roses auprès des peupliers de la rivière ou disputé le mousseron délicat au mufle, et à la barbe, d’une laitière en alpage, ne peut soupçonner la délectation de la cueillette de ces végétaux privés de chlorophylle. Mais il faut parfois être patient et circonspect, car le champignon est capricieux.
Le 5 septembre 2022, la RTS annonçait : « Un été sans champignon dans les forêts de Suisse. » Quinze jours plus tard : « Cueillette exceptionnelle de bolets cette année » proclamait Léman Bleu, le 21 septembre.

Cette année, une surprise d’un autre genre attendait ceux qui songeaient à traquer dès le 1er juillet les premiers bolets d’été dans les Alpes vaudoises. Une nouvelle réglementation cantonale interdit désormais la cueillette des champignons les sept premiers jours de chaque mois sur tout le territoire cantonal dans le but de ménager la nature. Deux autres mesures inspirées par la loi sur la protection du patrimoine naturel et paysager sont entrées en vigueur cette année : la cueillette journalière est limitée à 2 kg par personne et n’est autorisée que de jour, de 7 h du matin à 20 h. Ces mesures appréciées par les défenseurs de la nature sont rendues nécessaires, estiment les autorités, depuis que le Covid et les réseaux sociaux ont multiplié le nombre des champignonneurs occasionnels qui pratiquent un « ratissage » sans discernement, destructeur du mycélium. Aiguillonnés par une curiosité toujours renaissante et le désir de nouvelles trouvailles, les ramasseurs pourront toujours, cette année, au pied du Jura vaudois, au-dessus de Morges, parcourir en pèlerin entre sous-bois et marais, les futaies, les bosquets, tous les étages de la flore d’altitude où se nichent les cèpes, dans le bois d’Etay et la forêt voisine de Fermens, accessibles depuis la commune de Ballens.
La cueillette des champignons n’est pas absorbante au point qu’elle empêche de goûter le charme des grands espaces, l’odeur des feuilles mortes, le plaisir d’une solitude qui donne la force d’une liberté inventive, celle qu’on attribue aux cuisiniers. Remarquons que l’on chasse le champignon à un ou deux compères, ou complices, au plus. Au-delà, on déflore le secret nécessaire à leur présence, et les rêves de correspondances culinaires que la récolte suscite. Il faut aimer le froissement des fougères qui conservent enfin la pluie de cette saison. Attention aux mousses spongieuses, aux étendues perfides des tourbières, où se dissimulent sous la verdure les minuscules orchidées de montagne.
COMESTIBLES OU TOXIQUES
Rien n’est plus pur que la rencontre sous une futaie silencieuse, quand on l’aperçoit parmi les feuilles mortes, avec la tête brune, blonde ou rousse d’un cèpe éclos dans la nuit. Attention, rien ne ressemble plus à un bolet comestible qu’un bolet toxique. Seul le pied rouge signe le bolet Satan. Si vous l’écrasez, il prendra toutes les couleurs de la palette infernale, les odeurs de la mauvaise cuisine. S’il est bon, quelle chance ! Regardez bien autour, car les cèpes vont souvent se promener dans les bois en famille. C’est le mystère que nous raconte Colette : « Ils sont nés de cette nuit, et soulèvent de leur tête le tapis craquant de feuilles et de brindilles… Ils sont d’un blanc fragile et mat de gant neuf, emperlés, moites comme un nez d’agneau… »

Au fait, cèpe ou bolet, quelle différence ? Tous les cèpes sont des bolets, mais tous les bolets ne sont pas des cèpes ! Le plus apprécié en cuisine est le cèpe de Bordeaux (boletus edulis et aereus). Son pied est large et trapu de couleur blanche ; c’est ce qui lui vaut son nom, car « cep » signifie tronc en gascon. Son chapeau est lisse et concave, de couleur brune, parfois plus claire sur le bord, ou bien très foncée (aereus). La sous-face est blanche, munie d’une sorte de mousse qui contient les spores. Lorsqu’elle verdit, le champignon n’est plus comestible. En revanche, un cèpe fraîchement trouvé, blanc, dont la chair est ferme, peut se consommer cru ou cuit. Son goût subtil rappelle la noisette, son odeur délicate tranche avec d’autres bolets plutôt amers et vite écœurants, notamment ceux qui bleuissent à la coupe (luridus et érythropus), appelé aussi bolet blafard. Dans le doute, consulter un pharmacien, une société mycologique ou s’abstenir. Coluche, n’oublions pas, disait : « Tous les champignons sont comestibles ; certains, une fois seulement ! »
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