Grand entretien avec Romain Paillereau, la perle gastro de Bourguillon

Il a vécu son enfance et son adolescence dans un pays de cocagne, le Périgord. Il a travaillé avec de grands chefs français, de la Provence à Paris. Le destin l’a ensuite conduit à découvrir la Suisse, un peu par hasard, avant qu’il ne reprenne la Pinte des Mossettes, à Cerniat. Et depuis plus de deux ans, voilà Romain Paillereau à la tête de l’une des grandes tables de Fribourg, à Bourguillon : les Trois Tours.
Quand vous montez au quartier de Bourguillon, vous apercevez successivement, au détour d’une route sinueuse, trois anciennes tours médiévales qui ont sans doute donné leur nom au restaurant tenu par Romain Paillereau. Une belle bâtisse patricienne du 19e où nous l’avons rencontré un des derniers matins de février, alors qu’il s’apprêtait à recevoir un groupe de 90 personnes dans l’ancienne salle de bal du premier étage. En plein stress ? Rien ne le laisse paraître ni penser. Le chef se montre très détendu dans le lounge où il nous accueille. L’entretien se déroule dans la même atmosphère chaleureuse et sobre que le décor.
« Je rêvais d’être cuisinier depuis tout petit », dit-il en souriant. Il y a sans doute pas mal d’atavisme dans ce choix d’enfant. Son père, qu’il a peu connu, tenait un bar-restaurant, et sa mère, antiquaire de profession, est une excellente cuisinière qui exerce son talent de façon « assez drastique », selon son fils. « Elle fait ses courses uniquement auprès des producteurs, au marché, et elle ne boit jamais de l’eau du robinet, seulement de l’eau de source qu’elle va elle-même chercher…» Quant au jeune frère de Romain, il teint lui aussi un restaurant en Dordogne.
Né le 1er novembre 1984, à Bordeaux, où il a vécu jusqu’à l’âge de six ans, Romain Paillereau a en effet vécu le reste de son enfance et son adolescence dans le Périgord, à Saint-Rémy d’abord, puis à Montpon-Ménestérol, à environ une heure de route de Bergerac. Autrement dit, dans un pays de bons vivants amoureux de la table, des truffes noires, du foie gras d’oie ou de canard, des confits de volaille, des noix et de leur huile, des fraises, des cèpes… sans parler des vins de Bergerac, dont le Monbazillac. C’est dans cette ambiance que le jeune Romain a fait son apprentissage dans un restaurant, le Puits d’Or, fermé depuis longtemps, mais qui lui a permis d’apprendre les bases du métier.

LE TOUR DES GRANDS CHEFS
Le jeune Romain ne voulait pas s’en contenter. Car son idole s’appelait Bernard Loiseau, le chef triple étoilé de Saulieu, qu’il suivait avec ferveur à la télévision. « Je découpais déjà ses photos dans les journaux et son portrait figure en bonne place dans la cuisine des Trois Tours. » Après un bref passage dans un restaurant de Bordeaux, où il pratiquait encore une cuisine simple, Romain Paillereau rejoint son premier étoilé, la Cabro d’Or, l’un des restaurants de l’hostellerie de Baumanière, aux Baux-de-Provence. Un vrai déclic avec la découverte de la haute gastronomie et de ce qu’est, côté fourneaux, un écrin de luxe.
Après un an et demi passé dans ce Relais et Châteaux, il part multiplier les expériences. Il se retrouve d’abord dans le Tyrol autrichien, à l’Hubertus, un restaurant alors double étoilé, puis au Georges V, à Paris. « J’avais un souci en anglais. Je n’avais pas le niveau. J’ai donc décidé d’aller aux États-Unis, où j’ai travaillé au restaurant L’Ortolan de Los Angeles, le temps de perfectionner ma connaissance de la langue. » Il est ensuite engagé par Anne-Sophie Pic, à Valence, pour atterrir finalement, et pour la première fois, en Suisse. En 2009, la cheffe la plus primée au monde ouvre en effet son premier restaurant hors Valence… au Beau Rivage Palace, à Lausanne. Le tour des grands chefs se poursuit à l’Épicure, la perle d’Éric Frechon au Bristol de Paris, puis au Lancaster où Michel Troisgros officie comme consultant. À la fin de ce double séjour parisien, Romain Paillereau s’apprête à partir à Hong Kong quand le projet qui l’appelait là-bas tombe à l’eau au tout dernier moment. Il n’a plus rien, plus d’engagement ; il fait alors une pause d’un genre inattendu.

PARENTHÈSE BOXE
« Je suis parti en Thaïlande pour faire un camp de boxe. » Quand j’ai entendu « camp de boxe », j’ai craint d’avoir mal compris et je l’ai fait répéter. Devant mon étonnement et mon regard s’étant peut-être égaré sur sa carrure, il confirme : « Oui, un camp de boxe », en ajoutant : « J’étais plus mince qu’aujourd’hui. » Voilà donc notre chef s’entraînant à ce sport de combat à l’autre bout du monde, quand un chasseur de têtes passant par-là lui parle d’un restaurant à Fribourg, La Cène, qui cherche un chef. C’est d’accord. Le camp de boxe s’achevant, Romain Paillereau va se dépenser à nouveau en cuisine.
De retour en Suisse, il a toujours la même passion pour son métier, mais il a désormais tout en main : le savoir-faire et une technique parfaite, le goût des assiettes aussi plaisantes à l’œil qu’au palais, la créativité au service de nouveaux plats… Romain Paillereau souhaite se mettre à son compte, s’épanouir dans l’indépendance.
Ce sera à la Pinte des Mossettes à Cerniat, qu’il reprend le 1er avril 2016. Et où il se fait rapidement remarquer. Dès 2017, le Gault&Millau le désigne «découverte romande de l’année», en lui attribuant 17 points sur 20, et le Michelin lui décerne sa première étoile. Il succède ainsi avec brio à Judith Baumann, Virginie Tinembart et son compagnon Georgy Blanchet, qui avaient fait de la pinte le haut lieu d’une cuisine parlant aux herbes, aux fleurs, aux fruits sauvages… Tombé amoureux de l’endroit, le Périgourdin s’est pris au jeu. « Je connaissais les herbes et les plantes sauvages par les livres, là j’ai appris à les toucher, à les sentir, à comprendre ce que l’on peut en faire avec la cueilleuse de la Pinte, Françoise, qui travaillait déjà avec Judith Baumann et qui travaille toujours avec moi à Bourguillon. J’aimerais encore apprendre avec elle, pousser encore plus loin, du côté des racines, pour qu’il y ait toute l’année quelque chose de sauvage dans mes assiettes. »
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Truite façon gravlax et crémeux raifort
La recette de Romain Paillereau

Si vous ne trouvez pas de filet de truite de cette taille, la recette peut être faite avec un filet de saumon.
Ingrédients
pour 6 personnes
1 filet de truite de 1 kg
Si vous ne trouvez pas de filet de truite de cette taille, la recette peut être faite avec un filet de saumon.
500 g de sel
500 g de sucre
1 citron jaune
1 citron vert
1 orange
1 feuille de nori
500 g de crème liquide
50 g de raifort râpé
3 feuilles de gélatine (dans l’eau glacée)
Préparation
Mélanger le sel et le sucre. Ajouter le zeste des 3 agrumes. Parer et enlever les arêtes du filet de truite, mais laisser la peau. Mettre 1/4 du mélange au fond d’un plat et mettre le filet par-dessus. Recouvrir avec le reste du mélange et laisser au frigo 18 heures. Rincer le filet et enlever la peau du poisson. Débarrasser et laisser au frais. Faire chauffer la moitié de la crème et ajouter le raifort râpé. Laisser infuser 1 heure. Passer au chinois étamine et ajouter le reste de la crème chaude. Mettre la gélatine, mélanger et garder au frais. La crème doit être prise au bout d’une heure. Mettre le filet dans un papier film et recouvrir avec le mélange raifort. Cela doit être 1/2 cm au-dessus du filet. Refermer avec le film alimentaire et mettre au frigo pour bien figer la crème. Une fois l’appareil bien pris, rouler le filet dans la feuille de nori. Tailler les portions et décorer avec un mélange herbes et croûtons de pain au beurre.