Les “fake-news” de la gastronomie
Du Moyen-Âge aux Temps modernes, seules l’Italie, l’Espagne et la France publiaient des recueils de recettes. Les voyageurs arabes, entre Bagdad et Al Andalus, tenaient une chronique de leurs découvertes. En France, au XIXe siècle, l’histoire de l’alimentation est avant tout l’affaire des gastronomes – Grimod de la Reynière et Brillat-Savarin – qui posent leur goût en arbitres suprêmes, et privilégient le pittoresque et les anecdotes discutables.
Il faudra attendre l’Ecole des Annales, fondée par Marco Bloch et Lucien Febvre en 1929, pour que l’histoire s’intéresse à la vie quotidienne, à la vie économique et sociale, aux mentalités en prenant soin de s’ouvrir à la pluridisciplinarité. A leur suite, Fernand Braudel et bien d’autres, jusqu’à Jean-Louis Flandrin (1931-2001), suivis par des chercheurs à l’Université de Tours, qui feront le tri parmi les légendes de la gastronomie. Passons en revue un certain nombre de “Fake News” de la gastronomie ou la gastronomie en trompe-l’oeil!
EN CHINE, MARCO POLO DÉCOUVRE LES PÂTES
Dans Le livre des merveilles (1298), Marco Polo dit avoir mangé chez le Grand Khan des lasagnes, “come noi faciamo con la farina di frumento” (comme nous faisons avec la farine de froment). Les historiens ne croient ni à l’origine chinoise des pâtes, ni à un modèle italien, mais à l’introduction d’un savoir-faire à Palerme entre le IXe et le XIe siècle pendant la domination arabe. Pour les historiens Jean-Louis Flandrin et Massimo Montanari la question est tranchée : “Il n’existe pas d’identité pure des pâtes, apparues au contact des Arabes.” Depuis, l’assyriologue Jean Bottéro, a traduit de l’akkadien des tablettes cunéiformes faisant état que la farine (de blé voire d’orge, les céréales autochtones de Mésopotamie) était pétrie avec de l’eau afin de réaliser un pâton, râpé avec un tamis et poché dans un consommé. Il y a 4000 ans!
En réalité, c’est une publicité parue dans la presse italienne en 1920 pour flatter le sentiment national sollicité par le fascisme, qui a relancé, sans vergogne, la légende du rôle joué par Marco Polo dans la diffusion des pâtes en Italie.
VERCINGÉTORIX RAFFOLAIT DU SANGLIER
L’affirmation selon laquelle “Vercingétorix aimait le sanglier” est toujours actuelle, entretenue par les aventures d’Astérix. La paléozoologie répond désormais à cette question. C’est la plus indiscrète des méthodes d’investigation. Les archéologues sont les médecins légistes de l’Histoire. Ils s’intéressent aux dépotoirs autant qu’aux trésors, mais – c’est nouveau – ils dressent des statistiques. “Vercingétorix a dû en manger, admet Christian Goudineau, professeur au Collège de France, parce qu’étant aristocrate, il était chasseur.” Mais l’essentiel de la nourriture carnée, à cette époque, est celle des animaux d’élevage : le porc, les volailles, le chien… du moins jusqu’à la romanisation. Napoléon III qui se passionnait pour Alésia, et y fit édifier une statue de Vercingétorix, avait une idée derrière la tête : utiliser l’héritage gaulois comme nouveau paradigme d’un récit national fédérateur. D’où la curiosité populaire de savoir ce que le héros d’Alésia avait dans son assiette.
LES CUISINIERS ITALIENS DE CATHERINE DE MÉDICIS : UN BOBARD DE L’ENCYCLOPÉDIE
Le 28 octobre 1533, Catherine de Médicis, née en 1519, épouse à l’âge de 14 ans, le futur Henri II à Marseille, en présence de son cousin le Pape Clément VII, et de François 1er. Mariage diplomatique et financier, car il s’agit de renflouer la couronne avec une dot de 100 000 écus et 28 000 écus de bijoux. François 1er assiste à la cérémonie, et aussi à la “consommation du mariage”, car le jeune époux a le même âge que sa femme au visage ingrat. Il s’agit aussi de faire obstacle à toute répudiation. Une légende tenace veut que Catherine de Médicis soit venue d’Italie accompagnée d’une quarantaine de cuisiniers. Or Catherine ne devait pas devenir reine ni même son mari accéder au trône. Elle ne sera couronnée à ses côtés, en 1547, quatorze années plus tard, qu’en raison de la mort suspecte, en 1536, du dauphin François, fils aîné de François 1er. Florent Quellier, historien, professeur à l’Université François Rabelais de Tours, a tordu le cou à cette légende : “Il n’existe aucune trace de cuisiniers ou pâtissiers italiens chez les Valois, non plus que dans la famille de Guise.” L’origine de cette fable réside dans une perfidie des Essais de Montaigne. Un trait d’humour, mal interprété par un rédacteur de l’Encyclopédie – protestant intégriste – qui avait pour objectif de discréditer la Cour, alors sous l’influence des “papistes.”
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