LA TOMATE, ROUGIR DE PLAISIR

La tomate des Incas a toujours enflammé les imaginations. Alphonse Allais, en 1882, baptisait un tableau rouge monochrome “Récolte de la tomate par des cardinaux apoplectiques au bord de la mer Rouge” ! Chaque gamin garde comme une image d’Épinal, le souvenir des tomates cueillies autrefois, à la fraîche, dans le jardin du grand-père, de variété Olivette ou Marmande. Ces tomates étaient parfois atteintes de nécrose apicale, ou plus explicitement de la maladie du « cul noir. » Qu’importe, elles avaient mûri en pleine terre, elles étaient juteuses et avaient du goût ! Nous les préférons de la sorte aux tomates cultivées hors sol au goût insipide. On les trouve encore sur les marchés, chez les maraîchers de confiance, dans quelques fermes en autocueillette, en saison, de juillet à fin septembre.
Longtemps la tomate, découverte par Cortès en 1519 en Amérique centrale, fut considérée comme une plante toxique. À vrai dire, sa famille (les solanacées) n’avait pas bonne réputation : elle comprend, d’un côté, la pomme de terre et, de l’autre, le tabac. Pendant près de deux siècles, cette parentèle valut à la tomate d’être reléguée au statut de plante d’ornement. Né à Bâle en 1541, le naturaliste Jean Bauhin, lui donna le nom peu engageant de Lycopersicum (pêche de loup) après qu’un médecin suisse lui eut raconté qu’un frénétique avait été calmé en tenant une tomate dans sa main ! Ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle que fut conjurée la dimension maléfique et ajoutée l’épithète rassurante d’esculantum (comestible).

ÉVOLUTION DES VARIÉTÉS
Vers 1800, on ne connaissait guère que deux variétés, la grosse et la petite. Un siècle plus tard, on en comptait vingt-quatre susceptibles de pousser sous des latitudes et des climats différents. Depuis, la science s’est acharnée, grâce au développement de l’hybridation, à répondre aux besoins industriels. Aujourd’hui plus de 4000 variétés de tomates sont inscrites dans la base européenne des variétés de semences. La France n’en a retenu que 480 dans le Catalogue officiel des espèces et variétés, dont 300 hybrides parfois sans valeur intrinsèque. En Californie, dans les années 1990, la tomate fut l’une des premières plantes transgéniques, produite par Monsanto, autorisée à la commercialisation. En Angleterre, un concentré à base de tomates OGM fut mis sur le marché, mais fut retiré en 1999 en raison d’une forte opposition dans l’opinion publique. En France, à la même époque, apparaissait la fameuse Ferline mise au point en 1980 par l’Institut national de recherche agronomique (INRA) dans sa station de Montfavet (Vaucluse).
Il s’agissait alors de lutter contre l’“érosion génétique”, celle que tout jardinier pouvait constater d’une année sur l’autre en repiquant les plants issus des graines de Marmande de sa précédente récolte. Mais, au lieu de la sélection traditionnelle, cette variété rustique a été remplacée par un “cultivar” (cultivated variety), une tomate, belle, mais sans goût. “Nous ne disposons pas de tests simples et objectifs d’appréciation de ce caractère”, écrivait alors Jacqueline Philouze (INRA). Au même moment, la résistance s’organisait en Provence même, sous la houlette de Christian Etienne, restaurateur avignonnais, en faveur de la tomate traditionnelle, juteuse et savoureuse.
En fait, c’est l’importance accordée aux problèmes phytosanitaires par la culture intensive qui a conduit les chercheurs, à la suite des travaux menés aux États-Unis, à incorporer dans les variétés cultivées des gènes de résistance destinés à prévenir les maladies. Et le mode de culture non tuteurée, indispensable à la mécanisation de la récolte des tomates destinées à l’industrie, s’est peu à peu étendu au marché du frais. Le moindre mal, alors que la plupart des tomates sont produites sous serres, est aujourd’hui de s’assurer qu’elles poussent en pleine terre, ce qui garantit leur saisonnalité, et non produites par une culture hydroponique.
CULTURE HYDROPONIQUE
C’est une culture de plantes réalisée sur un substrat neutre et inerte (de type sable, pouzzolane, billes d’argile, laine de roche, etc.), ce substrat étant irrigué d’un courant de solution qui apporte des sels minéraux et des nutriments essentiels à la plante. Mais dont le goût, lui aussi, est inerte, sans relief et ne peut servir qu’à la décoration d’une salade mélangée. L’amateur de bonnes tomates devra avoir la patience d’attendre la bonne saison (de juin à octobre) s’il veut pouvoir, comme le chef Bruno Verjus « déshabiller les tomates de la partie inférieure de leur peau et remonter la partie supérieure vers la collerette, comme une robe soulevée par le vent.» C’est à dire, une tomate parfaitement mûre ayant bénéficié des rayons du soleil.
CUEILLETTE EN LIBRE-SERVICE
En Suisse romande, la cueillette en libre-service est une alternative avantageuse aux commerces classiques.
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